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Dylan Dog : une impression d’infini

Les murs d'enceinte
du labyrinthe
s'entr'ouvrent sur
l'infini.
(Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson)

On trouvera difficilement imaginaire plus libre et labile que celui qui régit les fascicules de Dylan Dog. Il est admirable que le héros à la chemise rouge ne perde pas son identité dans cet inlassable ressassement, processus d’emprunts éhontés, de détournements quelquefois grotesques, de crossovers (avec Batman notamment) et de clins d’œil de toutes sortes. Je remarquais déjà l’apparition d’un avatar de Jorge Luis Borges dans une aventure de Dylan Dog intitulée A occhi chiusi [voir ici] mais voici, dans le numéro que l’on trouve en ce moment en kiosque, une allusion plus appuyée encore à la Bibliothèque de Babel. Contre-plongée vertigineuse, belle comme du Piranèse.

Dylan Dog circule dans notre espace culturel selon une trame inusable qui fait la part belle au glissement de notre monde vers cet Autre côté dont parle Marthe Robert. Ici, en l’occurrence, les histoires horrifiques et souvent drôles se situent dans des zones de cauchemar, dans des mondes parallèles suscités par des lignes téléphoniques hantées, des failles temporelles, etc. Ces limbes de la représentation constituent aussi bien une sorte d’encyclopédie post-moderne où le surnaturel a pour fonction de favoriser la porosité des données de l’imaginaire, de sorte à les rendre connexes au besoin (passages à la Cortázar) : une aventure de Dylan Dog peut mettre en scène Corto Maltese, tout en étant traitée à la manière de John Carpenter — on ne s’interdit pas pour autant des hommages à Alien ou encore aux saloperies gluantes de Cronenberg.

Au fond, il suffit de suggérer l’infini, de l’indiquer (miracle facile de la deixis…), pour en avoir non l’idée complète, mais au moins une impression. Et cette impression est sans conteste plus pérenne et tenace que toute idée de l’infini.

Borges nous explique qu’il n’est besoin que d’imaginer un ouvrage (de le désirer, en somme) pour que celui-ci existe quelque part sur un rayonnage de la Bibliothèque de Babel. Sans doute est-ce un des secrets de la série Dylan Dog : elle repose sur un désir dont on sait qu’il sera toujours renouvelé, par une forme agglutinante et proliférante. Ces fumetti sont d’impeccables machines désirantes branchées sur la culture populaire mais aussi sur un fond culturel un peu plus « noble » (Borges, par exemple). Comme mues par une force occulte, elles donneraient presque foi en le mouvement perpétuel et, par la puissante impression de déjà-vu culturel qu’elles suscitent, elles ne manquent pas de s’entr’ouvrir sur l’infini.

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