Alors, pour toi, le meilleur morceau des Doors, c’est lequel? Incontestablement « Take It As It Comes ». Encore qu’il ne s’écoute finalement que dans la perspective de l’ensemble sinon du premier album, des six albums studio du groupe. « Take It As It Comes » est une sorte de « Light My Fire », en moins ample mais en beaucoup plus sombre. Les deux morceaux professent cependant un semblable eudémonisme romantique ou adolescent. Yolo, comme on dit de nos jours. Cueillir les roses de la vie, disait quelqu’un.
Come on, baby, light my fire
Come on, baby, light my fire
Try to set the night on fire
The time to hesitate is through
No time to wallow in the mire
Try now we can only lose
And our love become a funeral pyre
Surtout, pour les Doors, le bonheur est bordé de mort : bûcher funéraire dans « Light My Fire », chanson qui nous parle ouvertement de petite mort, laquelle rime avec les drogues (« Girl, we couldn’t get much higher »). Expérience des limites, traversée ahurissante et stupéfiée de l’Impossible. Dans « Take It As It Comes », on nous enjoint à décocher des flèches en direction du soleil (« aim your arrows in the sun »), mais on sait aussi être moins prométhéen et plus terre-à-terre : il faut prendre les choses comme elles viennent. Et puis, surtout, faire du plaisir sa spécialité : « specialize in having fun ».
« Take It As It Comes », qui figure sur l’album éponyme des Doors (1967), est un morceau joyeusement crépusculaire, avec sa basse entêtante et son clavier inquiétant. Ce n’est pas un morceau sur lequel Krieger s’illustre particulièrement.
De fait, oui, les Doors s’accompagnent d’une basse, du moins en studio. Ici, en l’occurrence, c’est Larry Knechtel à la basse, qui avait déjà œuvré avec les Byrds, notamment sur Turn! Turn! Turn! Et il se trouve que le morceau des Doors est une reprise ironique des Byrds.
« Turn! Turn! Turn! », morceau figurant sur l’album éponyme des Byrds (1965) est emblématique (c’est une reprise des Limelighters (Folk Matinée, 1962)). Il relève presque du cliché folk, encore que la chanson continue d’être plaisante.
A time to be born, a time to die
A time to plant, a time to reap
A time to kill, a time to heal
A time to laugh, a time to weep
Ce qui donne, dans « Take It As It Comes », à travers la voix hantée de Morrison :
Time to live
Time to lie
Time to laugh
Time to die
Chez les Byrds, l’idée d’un cycle domine. L’influence de l’Ecclésiaste est ici évidente. Il y a une saison pour chaque chose. Pour les Doors, les choses sont plus brutales. C’est de la vie à la mort, tout simplement. Un trajet direct, fatal au sens fort du terme, mais il convient de prendre le temps.
Don’t move too fast
If you want your love to last
Ah, you’ve been moving much too fast
C’est sur les 1:13 que le morceau prend toute sa consistance. Lorsque la voix de Morrison se perd en réverb (« faaaaaast ») pour laisser place au clavier de Manzarek et à la basse de Knechtel, ainsi qu’à la batterie de Densmore, elle aussi diablement efficace. Ce sont quelque vingt secondes parmi les plus belles de tout ce que les Doors ont pu produire.