rose

Je tente de réaliser un florilège pour Albarracin. Florilège, c’est-à-dire, des fleurs mises ensemble, données à lire.
Voici donc la rose. Mais avant la rose, parlons de fleurs, qui ne seront pas ici de rhétorique. Voyons ce que dit le poète à propos de fleurs. J’en prélève une, précisément, par la tige, sans la casser, dans L’Herbier lunatique :
Le fleur se tient
Entre le ciel et la terre
On ne peut jamais tenir
une fleur
qu’entre le ciel et la terre
Aldous Huxley, expérimentant les effets de la mescaline, ne dit pas autre chose au sujet de trois fleurs qui s’offrent à sa contemplation, dont une rose « Belle Portugaise ». Les fleurs signifiaient alors pour lui rien de plus et rien de moins que ce qu’elles étaient — « nothing more, and nothing less, than what they were ». Ces fleurs se tenaient entre le fugace et l’éternel, et cette présence donnaient accès, à l’en croire, à l’Être.
Entre le fugace et l’éternel, de même que la rose se tient, chez Albarracin, nécessairement entre le ciel et la terre. Encore une fleur tirée de l’Herbier :
Oui la fleur est un écho
elle prend sur elle
elle garde en elle
le coup reçu
à la voir
La fleur est le lieu de la réversibilité. La fleur me regarde la regarder. C’est ainsi que Malcolm de Chazal eut sa vision sens-plasticienne, lorsqu’il vit pour la première fois une fleur d’azalée le regarder. Huxley, lui encore, estimait découvrir les fleurs avec le regard d’Adam ou d’Ève. C’est le regard du début du monde.
La rose n’est pas un objet qui sert à la comparaison. Nerval nous prévenait déjà à ce sujet : on passe vite pour un imbécile à parler de roses. Méfiance. La rose est la rose et rien d’autre que la rose.
La rose se tient, elle tient rose dans la rose. « A rose is a rose is a rose » (Gertrude Stein). Elle est, comme le chat, le lieu de la tautologie. Il faut appeler un chat, un chat ; une rose, une rose. La rose, mais le chat aussi, je le crois, sont sans pourquoi. Selon la formule d’Angelus Silesius :
Die Ros’ ist ohn’ Warum, sie blühet weil sie blühet,
Sie ach’t nicht ihrer selbst, fragt nicht, ob man sie siehet.
Albarracin a peut-être rencontré Silesius grâce à Roger Munier. Encore que l’on parvienne à Silesius en lisant Roberto Juarroz un peu attentivement. Ou bien Albarracin a trouvé son chemin tout seul, vers le sans pourquoi de la rose.
Le recueil est le lieu précisément où je cueille les roses d’Albarracin. Elles sont précisément sans pourquoi. C’est de quoi est fait le recueil Pourquoi ?, dont voici quelques roses :
Comment les choses commencent
pourquoi au milieu un pourquoi les ouvre
sinon quoi qu’une demande les fait elles
quoi tient les fleurs d’une main de fleur [toujours le tenir de la fleur]
quelle rose demeure dans la rose une fois que la rose a fleuri
pourquoi la question fleurit au pourtour du pourquoi
pourquoi comme un commentaire du quoi
comment comment ne serait-il pas ainsi
combien la rose est rose
[…]
la rose est-elle autre chose que son pourquoi levé en rose
et autre chose qu’un parce que de rose
[…]
pourquoi la rose répond rose à son pourquoi
pourquoi la rose est un oui en rose
comment avec son pourquoi affirme-t-elle la rose
Je pourrais en cueillir davantage, glaner plus encore de roses dans les autres livres d’Albarracin. Mais on n’épuise pas la rose, et l’on ne dit rien d’elle que le regard, dont elle n’a, rose, que faire.
Peut-être que la rose est le prototype de la chose.
Un examen rapide de l’œuvre des Réisophes dévoile un intérêt tout albarracinien quant au motif de la rose, ainsi qu’à celui de la fleur. Comme il est écrit dans Res Rerum :
Rien ne déflore la vérité.
Tout l’inflore.