Lorsque j’arpente les mille plateaux de la Lémurie, je ne peux m’empêcher de penser aux sept explorateurs de l’expédition Sanders-Hardmuth. Plus particulièrement, au professeur Bergamotte, avec ses gros sourcils en broussaille, sa barbe en lame de bêche, son rire fait de grosses lettres qui résonne dans tout le phylactère tandis que le costaud bonhomme se bidonne, les mains sur les côtes. Il sera le dernier à succomber à la vengeance de la momie.
Bergamotte a rédigé un mémoire sur les sciences occultes de l’ancien Pérou. Bergamotte est un fort philologue, comme tous les ethnologues de son époque. Je veux croire que les travaux d’Hermann l’ont intéressé. Peut-être que les deux scientifiques ont été en correspondance, afin d’éclairer quelque point de mythologie comparée. Ils ont échangé au sujet de Pouroucha et du Sanglier, ou alors ils ont parlé de l’Oiseau-Tonnerre, celui qui fascinera tant Artaud. Qui sait ? En tout cas l’histoire du Ptérodactyle dans le ciel de Bourbon a sans doute fait rire Bergamotte. Un rire en grosses lettres qui remplit tout un phylactère.

Dans la bibliothèque de Bergamotte se trouve un exemplaire des Révélations du Grand Océan. Hippolyte Bergamotte a d’ailleurs été un des premiers souscripteurs, auprès de la veuve Hermann, lorsqu’il s’est agi de publier l’ouvrage à titre posthume, bien que son auteur, un des plus grands érudits créoles, n’eût pas la chance d’en finir la rédaction. J’imagine que Bergamotte a été ému par l’histoire que l’on raconte au sujet du Zodiaque qu’Hermann était en train de dessiner au moment où la mort le surprit, un jour de 1924.
Bergamotte a tout lu des Révélations, même si, franchement, les visions ultimes dans Le Préhistorique à l’île Bourbon — AH-AH-AH-AH-AH ! gros rire à phylactère déployé.
Autant que le destin de Maître Hermann, la malédiction de Rascar Capac est là pour nous rappeler que le savoir ne va pas sans risques, qu’il est toujours bordé de folie. Et Bergamotte lui aussi sera victime de la vengeance de l’Inca.
Pour Bachelard, l’esprit scientifique se doit de lutter contre l’image et la métaphore. L’approche d’Hermann ne peut donc être réellement scientifique. Tant il est évident que le Vieux Créole dégonde méthodiquement la porte de l’Invisible.
C’est dans Le Préhistorique à l’île Bourbon que l’imaginaire hermannien est porté à incandescence. Dans ce tome inachevé des Révélations — le livre se termine à pic sur l’infini — Hermann se fait visionnaire. Il ne tient qu’à nous de le suivre par cet espace autre dont il est le méticuleux cartographe.
Oui, mon brave !