Non classé

Anabase, anarchie, adolescence

Brel-Ferré-Brassens, l’image qui me fait chier

On se souvient de Léo Ferré qui, dans « Le Chien », sur la fin du morceau, a ce crachat de mépris : « Je n’écris pas comme de Gaulle ou comme Perse. » Cela peut suffire à durablement jeter le discrédit sur l’auteur d’Anabase (qu’on le juxtapose au Général peut interloquer, mais passons). La personnalité de Ferré continue, aujourd’hui encore, de nourrir, sur un terrible malentendu, une forme d’anarchisme à la petite semaine, lequel fait par exemple que l’on accroche chez soi une affiche de la photo célébrissime, archi-connue, bête à force d’être affichée partout, de Brel-Ferré-Brassens (sur cette série de clichés, au moins, Brel n’a pas l’allure d’une vieille haridelle ahurie qui se cabre, mais a presque un air de Kurt Cobain) tandis que l’on boit quotidiennement le mauvais vin du mouron, et que l’on n’en finit pas de se saper le tempérament « aux rues neuves des tombereaux de malheurs inéclos », pour parler comme Perse. Une sorte de rogne adolescente mal digérée — rien de bien méchant, rien qui fasse chien non plus, pourvu que cela ne se transforme pas en ressentiment — peut donc détourner de l’œuvre de Saint-John Perse. Qu’elle ne soit pas de, ni pour notre temps, et ceci peut se discuter, n’est pas le problème.

Il n’est au fond pas de problème poétique qui tienne face à Anabase, où l’on parle de « chevaux sobres et rapides sur les semences de la révolte » (toujours le caractère adolescent). Autre curiosité il est vrai un peu hautaine, qui touche au visible et, je crois, au poème selon Perse : « Duc d’un peuple d’images à conduire aux Mers Mortes où trouver l’eau nocturne qui lavera nos yeux? » Et cette stance de prose libre, non moins belle :

… À la troisième lunaison, ceux qui veillaient aux crêtes des collines replièrent leurs toiles. On fit brûler un corps de femme dans les sables. Et un homme s’avança à l’entrée du Désert — profession de son père : marchand de flacons.

Il existe des gloses pour expliciter ces images. Mais il est quelquefois juste et bon de s’obstiner à ne pas comprendre. Je préfère rester à la surface, me contentant de l’éblouissement que me procure Anabase.

Ce sont de grandes lignes calmes qui s’en vont à des bleuissements de vignes improbables. La terre en plus d’un point mûrit les violettes de l’orage; et ces fumées de sable qui s’élèvent au lieu des fleuves morts, comme des pans de siècles en voyage…

Perse, ou l’art de conclure un canto :

— et debout sur la tranche éclatante du jour, au seuil d’un grand pays plus chaste que la mort,
les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe.

— Mais, tu ne vas pas terminer ton article là-dessus !
— Oh ! que si. Ce doit être un reste d’adolescence mal dissipé. Je vais d’ailleurs réécouter Ferré de ce pas.

Laisser un commentaire