
Longtemps, j’ai cru que la phrase la plus courte d’À la Recherche du Temps perdu se trouvait dans Le Temps retrouvé (la plus longue étant dans Sodome et Gomorrhe, I — elle comprend un peu plus de 900 mots). « Long à écrire. » La phrase tient en 3 mots. En 14 signes, espaces comprises.
« Long à écrire. » J’y vois une sorte de clef pour la Recherche. Cette phrase minimale, presque a-grammaticale, sans verbe conjugué, tout juste une proposition, est en réalité la reprise d’un élément de la phrase qui précède : « Moi, c’était autre chose que j’avais à écrire, de plus long, et pour plus d’une personne. » De plus long à écrire, donc. Le paradoxe de ce « Long à écrire. », énoncé qui se lit si vite, me plaît beaucoup.
On lit ces 3 mots au moment où le Narrateur prend pleinement conscience de son projet romanesque, et que se clôt la Recherche, lorsque le récit de la Recherche s’imbrique indissociablement dans son histoire, formant une manière de queue d’aronde. À moins que ce ne soit l’inverse : l’histoire imbriquée, idéalement ajointée dans son récit. Je n’ai jamais bien su.
« Long à écrire. » Quelque chose de plus long à écrire. Il est alors question des Mille et Une Nuits, des Mémoires de Saint-Simon, comme s’il était encore besoin, à ce stade du roman, d’immensifier le vertige. Je m’étais mis en tête que Proust, très consciemment, avait fait de « Long à écrire. » sa phrase la plus courte, pour désigner précisément un très vaste ensemble romanesque.
Or, il est dans le roman de Proust une phrase encore plus courte que « Long à écrire. ». Elle se trouve au début d’un paragraphe, dans Un Amour de Swann : « Il regarda. » Elle tient en 2 mots, pour 11 signes seulement, espaces comprises. « Il regarda. » Ce ne sont jamais que 3 signes de moins, mais cela change ma perception de la Recherche. Il y a donc plus court que « Long à écrire. » !
Peut-être y a-t-il, dans la Recherche, une phrase plus courte encore, plus brève à écrire que 11 signes, espaces comprises. Il y aurait bien un énoncé de 3 signes seulement, 3 lettres capitales, et c’est le mot « FIN », mais est-ce là une phrase?