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Expédition archéologique relative aux différents séjours du poète Jean-Pierre Le Goff en la bonne ville de Strasbourg, 1, suite : enterrement de la Pelle et restitution du Rayon Vert à la Cathédrale

Dimanche, 6 juillet 2025 a eu lieu l’inhumation de la Pelle au lieu-dit Le Puy-du-Ciel à Marc-la-Tour (Corrèze). Quelques amis se sont joints au cortège. Il n’est pas impossible que des Réisophes se soient glissés parmi les endeuillés. La cérémonie s’est tenue dans la plus stricte intimité, sous la pluie. Une liturgie précise a été menée en hommage à Jean-Pierre Le Goff qui le 15 février 1986 parvint à se sortir le plomb de la tête, effectuant l’Acte que le texte appelle. Un correspondant local m’a aimablement transmis quelques photographies de cet événement.

Sous un ciel à peine plus clément, la première expédition archéologique strasbourgeoise sur les traces du poète Jean-Pierre Le Goff s’est déroulée à la brasserie des Douze Apôtres, sise à quelques pas de la Cathédrale de Strasbourg. Quelques bières de marque Perle y furent enfilées par Rachel et par moi, en hommage aux nombreuses perles que Le Goff a enfilées à Strasbourg. Je renvoie au Cachet de La Poste où est relatée la geste perlière du poète. Le recueil de petits papiers commence précisément ainsi :

Comme pour sonder un vide, un fil à plomb composé de perles sera déroulé à partir de la plate-forme de la cathédrale de Strasbourg le dimanche 5 mars 1989 à 10 heures du matin. Les perles seront disposées suivant une progression arithmétique : 1 perle rouge, 2 violettes, 3 bleues, 4 vertes, 5 jaunes, 6 rouges, 7 violettes, 8 bleues, etc. La plate-forme est située à 66 mètres du sol. Le fil comportera donc 66 mètres de perles, c’est-à-dire 36 405 [perles]. Je vous invite à venir constater ce qui s’ensuivra.

S’enfiler quelques Perles (les boire), voilà qui n’aurait pas déplu à Le Goff. Or, que le poète trempât la moustache dans la Perle est impossible. Cette bière de fabrication alsacienne n’était plus commercialisée du temps où Le Goff vint enfiler des perles à Strasbourg : fondée en 1882, la brasserie de Schiltigheim ferma ses portes en 1971 pour ne rouvrir qu’en 2009.

Boire des Perles découle du rite réisophique qui consiste à défaire la synecdoque « boire un verre » pour le boire vraiment. Idéalement, sans se couper. Comme je le signalais lors des préparatifs à la restitution du Rayon Vert [voir ici], creusant la fosse de la Pelle (la Pelle et la Perle ont comme un r de famille), Laurent Albarracin (qui ne manque pas d’r) découvrit un morceau de verre. Celui-ci, longtemps enfoui, obscurci, occulté, fait obstinément signe au pied gauche de Juda, fils de Jacob, dans l’un des vitraux du triforium méridional de la Cathédrale de Strasbourg.

Tout porte oniriquement à croire que la Cathédrale de Strasbourg a été enfouie dans un jardin en Corrèze.

Maurice Rosart est l’inventeur du Rayon Vert de Notre-Dame de Strasbourg, phénomène qu’il explique dans Une Cathédrale se dévoile. Le Goff disposait de la première édition de cet ouvrage (Vendenheim, chez l’auteur, 1990) réédité en 2004 par les éditions du Rhin à Strasbourg. Le Goff a lu l’ouvrage de très près, comme en témoigne un texte inédit intitulé « La Poursuite du Rayon Vert » (1991), dont une copie de la première page a servi de support à la construction de notre rayon vert. Ce document fascinant paraitra peut-être un jour. On peut d’ores et déjà lire un beau texte de Le Goff au sujet du Rayon Vert de Strasbourg, « Le Sablier émeraude », dans Les Chemins de l’image, dont voici un extrait :

En 1990, je découvrais l’existence de l’apparition, à chaque équinoxe, d’un rayon vert dans la cathédrale. Ce rayon avait été détecté par Maurice Rosart. Il écrivit un livre sur le phénomène. Ce rayon vert n’était pas le véritable rayon vert que popularisa Jules Verne. Il se manifeste par le passage du rayon solaire par le pied du personnage de Juda représenté sur un vitrail. Ce pied est vert. Le rayon du soleil, par ce filtre, rejoint la tête du Christ sur la chaire aux périodes équinoxiales. Plus tard, le rayon vert me fit d’autre signes, aussi devint-il un thème essentiel dans mon parcours.

Toujours dans Les Chemins de l’image, on peut avoir une idée du parcours de Le Goff, qui le mène ce coup-ci dans les Pyrénées-Orientales :

La lumière possède l’esprit d’à-propos. Je n’imaginais pas que celle du rayon vert ferait écho un jour à celle de la lune rousse. […] Cela se passa à l’hôtel du Belvédère du Rayon Vert à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales. […] Pour des raisons poétiques, il est évident que nous devons nous rendre cette année à l’hôtel du Belvédère du Rayon Vert pour lever notre verre à la lune rousse la nuit où elle sera pleine. Serait-elle la face cachée du rayon vert ?

Je ne déviderai pas ici la bobine relative au Rayon Vert chez Le Goff, elle nous mènerait, nous emmêlerait fort loin, au-delà des Pyrénées-Orientales. Il s’agit en réalité d’un écheveau passablement inextricable et non moins fascinant. Les quelques éléments déposés ici n’ont pour fonction que d’indiquer ce que furent les jalons de cette première expédition archéologique sur les traces de Le Goff à Strasbourg, doublée de la restitution rituelle du Rayon Vert à la Cathédrale.

Le Rayon Vert n’est aujourd’hui plus visible. La pièce de vitrail représentant le pied de Juda (sans s, il ne s’agit pas d’Iscariote, mais du fils de Jacob) a été remplacée par du verre incolore. Si bien que le rayon équinoxial n’est plus visible. Il est tout bonnement invisible.

La polémique a été vive à Strasbourg, quant au rapt du Rayon Vert. Nous ne pouvions rester insensibles à cette invisibilisation du Rayon Vert. Nous ne nous sommes donc pas contentés, Rachel et moi, de nous enfiler quelques Perles ; nous avons demandé à Siouxsie, la fille de Rachel, de tracer un rayon vert au moyen d’un crayon vert à partir du centre d’un cercle dont le diamètre serait celui d’un pied de verre de Perle (7 centimètres). Persuadés que nous sommes que :

La Perle révèle le Cercle dont est tiré le Rayon.

L’extrapolation du centre et de la circonférence se fit verticalement à travers le verre à bière dans lequel restait encore un peu de Perle. Il s’agissait du degré zéro de cette anamorphose particulière qui opère au fond des verres de saké, où l’on voit apparaître avant de se les enfiler (les verres, ou plutôt leur contenu) tantôt une geisha lascive, tantôt un samouraï turgescent.

Une anamorphose à transformation nulle, si l’on préfère. Pendant, donc, que l’on enterrait une pelle dans un jardin de Corrèze.

C’est d’un geste innocent et assuré, en dépit d’une perplexité initiale vite surmontée, que Siouxsie a tracé le Rayon Vert au crayon vert, en sorte de pointer en direction d’un ouvrage désormais introuvable de Le Goff : Du Crayon Vert (Au crayon qui tue, Paris, 2001). Dans ce petit livre fort élégant édité par les bons soins de Thieri Foulc, Le Goff prend acte du récit de Raymond Roussel intitulé « La Peau de la raie » où l’auteur joue sur la paire crayon vert/rayon vert et où il est également question d’une « lueur matrimoniale » dont Jules Verne avait auparavant fait l’objet de son roman intitulé Le Rayon vert. Un exemplaire d’édition courante de ce roman certes pas le meilleur de Verne (Le Livre de Poche Jules Verne, 1968) fit office de règle pour le tracé du rayon vert du cercle dont la circonférence égale celle d’un pied de verre de Perle.

L’opération a ensuite consisté à glisser ce nouveau Rayon Vert dans une enveloppe (de peur bien entendu qu’il n’aille irradier jusqu’à la Chine, comme le craignait Roussel de ses rayons de gloire délirante en 1896-97, lors de la composition de La Doublure), pour le restituer à la Cathédrale. Cela se fit presque sans embûches. L’enveloppe a été déposée en un lieu dont seuls ont connaissance les trois participants de la première expédition de la mission archéologique relative aux passages du poète Jean-Pierre Le Goff en la bonne ville de Strasbourg.

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