
On trouve à Palerme, dans une ruelle perpendiculaire au corso Vittorio Emanuele, une plaque commémorative laquelle indique qu’une partie d’échecs a été disputée dans la nuit du 7 juillet 1933 entre Raymond Roussel et André Gide. Au 10, donc, du vicolo Paternò.
L’anecdote a un parfum de plausibilité. Gide jouait aux échecs, comme en attestent des photographies, et Roussel fréquentait Salieri Tartakover (dont il épongeait, dit-on, les dettes contractées au poker). Le maître évoque la finale de Roussel dont il est question dans Comment j’ai écrit certains de mes livres (le célèbre Mat du fou et du Cavalier) dans son Bréviaire des échecs.
Roussel séjournait effectivement à Palerme en juillet 1933 (il mourra au Grande Albergo et des Palmes dans la nuit du 13 au 14 juillet). Gide connaissait la Sicile en général et Palerme en particulier; L’Immoraliste (1902) en témoigne.
Le journal de Gide ne mentionne pas Roussel. Gide, pourtant, avait lu les Pages choisies d’Impressions d’Afrique et de Locus Solus, comme il l’écrit à Roussel dans une lettre du 13 mai 1925 : « … aussitôt je m’abandonnai, pied perdu, dans le Gulf Stream de votre rêve, jouvence où je n’avais plus que quinze ans. »
Gide effectuera un séjour dans le sud de l’Italie (Naples et Syracuse) au mois de février 1934. Or, le 4 juillet 1933, Gide est à Vittel, si l’on en croit son journal. Dans le Bulletin des Amis d’André Gide (n°61, janvier 1984), Pierre Masson précise que Gide est alors en cure. Employant les moyens de transport d’alors, aurait-il pu s’acheminer et arriver à Palerme trois jours plus tard pour disputer une partie d’échecs avec un écrivain passablement neurasthénique ayant fugué en Sicile sans que l’on sache trop pourquoi ? Le 7 juillet, toujours selon la chronologie établie par Masson, Gide est en tout cas à Paris, contrairement à ce qui est indiqué sur la plaque du vicolo Paternò.
Du côté des biographes de Roussel, François Caradec n’évoque pas la rencontre de Gide et de Roussel à Palerme, pas davantage que Mark Ford. Rien à ma connaissance ne confirme ce fait que tout, au contraire, tendrait à infirmer. Quelque chose a néanmoins pu m’échapper, et je serais très curieux de savoir quoi. Les personnes à l’origine de la plaque commémorative du vicolo Paternò semblent davantage informées. J’espère un jour pouvoir prolonger l’enquête auprès d’elles. La science roussellienne l’exige.