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Le Goff et la fleur d’azalée (notes en vue d’un travail plus grand)

« Un jour, par une après-midi très pure, je marchais quand, face à un bosquet d’azalées, je vis pour la première fois une fleur d’azalée me regarder. C’était la fée. Sens-Plastique était né ». (Malcolm de Chazal)

Une veine chazalienne traverse le paysage poétique contemporain. Des œuvres aussi diverses que celles de Laurent Albarracin, de Joël Cornuault ou de Boris Wolowiec font signe à Malcolm de Chazal, trempant leurs racines dans le merveilleux que procure l’immense poète mauricien. Lire, pour s’en convaincre, la revue Des Pays habitables, dont un premier hors-série est consacré au Journal de neiges de Jean-Pierre Le Goff [voir ici].

Sous la houlette d’Albarracin, exhumé et présenté par Sylvain Tanquerel, voici un ensemble de textes de Le Goff, quelque 400 pages des plus stimulantes, sous le titre simple et suggestif Le Vent dans les arbres. Un autre fort volume est d’ores et déjà annoncé, au Cadran Ligné là encore, et c’est, dans l’attente de cette parution, comme s’il manquait quelque chose au monde.

Une page de Le Goff (Ernolsheim-lès-Saverne, 28 V 23), telle qu’en elle-même l’arbre la change.

Le Goff, prenant le parti des choses non sans tenir compte des mots se place dans le sillage de Ponge : travail objoueur que le sien. Mais il est incontestablement, et de manière encore plus obsédante, une forme de magie, de sens magique dans les mots de Le Goff. En cela, il trouve sa place dans Les Pays habitables et, faisant l’accolade à un Cornuault, ce poète pensif et sensuel sait pratiquer la dérive rêveuse, le parcours buissonnier selon des traverses surprenantes et vivifiantes. Ce chazalien en diable connaît les sentiers ensorcelés de la volupté, agit d’instinct de manière sens-plasticienne. Mais Le Goff, et c’est en cela qu’il me semble différer de Malcolm, parvient à maîtriser l’euphorie de sa vision. Pour le dire autrement : si Le Goff ne part pas vaticiner dans la Montagne, son écriture n’en est pas moins là pour désigner ou indiquer un arrière-monde comparable, je veux le croire (et pourquoi non ?) aux visions contenues dans Petrusmok.

La règle est en effet celle d’une paréidolie généralisée. Le Goff, à l’instar de Chazal (mais c’est vrai de Jules Hermann également, dont on commence à peine à saisir l’importance), contemple aussi bien les mots que les choses, à la manière d’un qui regarde les nuages pour y déterminer rêveusement des formes, selon une mantique toute subjective. Ce regard essentiellement poétique s’exerce aussi bien à la faveur d’une topologie möbienne. L’espace proposé par Le Goff s’inscrit dans le prolongement de la réversibilité qui anime l’écriture chazalienne (voir par exemple L’homme et la connaissance). Les bouteilles, l’hélice, le fil à couper le beurre, le bol, les cailloux égarés, la barque, le trou, la bulle de savon, l’obscurité, la transparence, l’ombre, la proie, une jupe plissée blanche, le grain de sel, la gomme, le bâton, les nuages — tous les objets que Le Goff étudie finissent par le regarder en retour, tout comme la fleur d’azalée chez Chazal.  

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