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Journal de neiges (Jean-Pierre Le Goff)

Jean-Pierre Le Goff (1942-2012), poète discret dans les parages surréalistes, donne à lire des notes relatives à la neige. Cela s’étend sur quatre hivers : 1978 à 1981. Cela est modeste : quelques pages à peine, un peu comme neige au soleil. Initialement parue en 1983 aux éditions du Hasard d’être, la petite plaquette du Journal de neige vient d’être rééditée (septembre 2022) en guise de hors-série de la très estimable revue Des Pays habitables (Naïveté, utopie, exubérance — il faut aller y voir, cela vaut le détour) que l’on doit à Joël Cornuault, dont il est question ici.

À la lecture de ces pages, on contemple du temps mis en conserve. Chronos et météo tout à la fois, le blanc de Le Goff est substance de rêve : « regardant la neige tomber : quelle différence il y a entre elle et la mémoire ? » (2 janvier 1979). Je songe à T.S. Eliot, à son hiver qui tient chaud, à la neige d’oubli dans The Waste Land (1922) :

Winter kept us warm, covering

Earth in forgetful snow […]

Le Goff écrit pour sa part : « La neige, mon amnésie » (23 novembre, 1980). Son cheminement n’est pas aussi sophistiqué que celui d’Eliot, mais la neige cependant permet à l’image de se faire. Ainsi, la neige de toucher au souvenir : « La neige, voix de verre qui se rince les doigts sur les touches de la mémoire ». Cette fulgurance datée du 26 décembre 1980 trouverait aisément sa place dans Sens-Plastique (1948) de Malcolm de Chazal. (Je ne saurais dire si Chazal a jamais vu la neige.)

La neige est pour Le Goff un objet de méditation photographique, indémêlable de la mémoire : « La neige est noire sur un négatif photographique et cette noirceur est, peut-être, ce qui reste de ténébreux dans la fusion d’un souvenir et de la vision de la photo étrangère qui le déclenche. » (12 mai 1979, et l’on voit ici que la neige n’est pas seulement suscitée par le froid de l’hiver ; ailleurs ce sont des cartes postales qui font naître de vives impressions à partir de névés sculptés par le vent).

L’objet fragile que constitue la neige est rendu d’autant plus rare et unique qu’il est, au fil de ce journal particulier, jalonné de dates. Ces neiges-là sont bien derrière nous, et à les lire, à les relire où à les découvrir à l’occasion de cette réédition, près de quarante ans plus tard, une nostalgie douce nous envahit. Nous qui, peut-être, n’étions pas encore nés à la première parution de ce texte. Nous qui voyons de moins en moins de neige. Ces notes sont d’un monde révolu, et cela n’est pas sans ajouter quelque émotion à la lecture de cette plaquette, où un art poétique des plus rares, mais aussi des plus précaires nous est dévoilé. « Voulant approcher l’ineffable de la neige, cuisinier du froid, je fais uniquement des sorbets de mots. »

Plus absolus peut-être, ces Cristaux de neige qui viennent accompagner le Journal de neiges. L’unité de départ est la phrase, et c’est, là encore, quelque chose qui rapproche Le Goff de Chazal. On se souvient de la réversibilité du regard partout à l’œuvre, notamment dans Petrusmok (1951). La voici face à un cristal de neige : « Je suis un regardeur regardé de cette figure kaléidoscopique. » Il s’agit-là de remarques ne comportant pas de dates, plus générales peut-être, mais non moins belles et profondes, servies par un véritable bonheur dans l’expression et dans l’image : « Dans les pays où elle tombe rarement, une journée de neige est un merle blanc. »

Une postface de Sylvain Tanquerel, autre habitué des Pays Habitables, vient compléter ce petit volume d’une soixantaine de pages, orné de deux dessins de Jean Benoît.

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