
« Un poème sur le papier n’est rien qu’une écriture
soumise à tout ce qu’on peut faire d’une écriture. »
(Paul Valéry, Cours de poétique, première leçon, 10 décembre 1937).
Je tentais, l’autre nuit et sans grand succès, la traduction d’un poème de Malcolm Lowry. Un poème de 13 vers, presque un sonnet. Je me suis pris à songer à une traduction qui transformerait ce poème en sonnet, en sonnet Peletier tant qu’à faire (abba abba ccd ede).
La langue française est plus foisonnante que l’anglaise : ajouter un quatorzième vers au poème de Lowry ne semble pas impossible, se justifie même, et bien largement : le taux de foisonnement de l’anglais vers le français est de 20% environ. L’argument du plus grand foisonnement m’incite à transformer ce poème de 13 vers en un sonnet. La morphologie de la langue exige cela. Ma traduction étant, au reste, un peu à l’étroit dans son carcan.
Ce serait ajouter quelque chose comme 8% à l’original. De quoi permettre à ma traduction de souffler. On pourrait même imaginer un poème en 15 vers, qu’on n’aurait pas encore atteint les 20% de foisonnement.
« Un poème sur le papier n’est rien qu’une écriture
soumise à tout ce qu’on peut faire d’une écriture.
Mais parmi toutes ses possibilités, il en est une, et une seule,
qui place enfin ce texte dans les conditions où il prendra
force et forme d’action. » (Ibid.)
Je ne crois pas en cette seule possibilité, lorsqu’il s’agit de traduire. Le geste de traduire contient potentiellement de nombreuses possibilités. La traduction fait trembler le texte et, partant, dans tout ce qu’elle comprend d’empirique, elle le révèle.
Il y a ce jeu de mots de Derrida, mais c’est davantage qu’un simple jeu de mots, que Tiphaine Samoyault reprend dans Traduction et violence, au sujet de la traduction relevante. Une traduction qui fasse une Aufhebung, pour dire les choses crûment et hégéliennement. Une traduction qui soit aussi bien adéquate (relevant, en anglais), et qui relève, qui élève, ou qui se voudrait une relève… Transformer le poème de Lowry de sorte à en faire un sonnet, pourquoi pas ? Mais ne serait-ce pas une traduction trop bien élevée ? Et que révèlerait-elle du poème ?
Un poème contient en puissance toutes ses traductions. Il y a la possibilité de la mauvaise traduction, ou encore celle du contresens. Ma traduction du poème de Lowry exploite avec panache ces deux voies. On peut aussi imaginer une traduction anagrammatique stricte, et pourquoi pas ? de ce poème (i.e. en en employant toutes les lettres, mais dans une autre langue, peu importe la fidélité à l’original). Est-ce envisageable ? Je n’en suis pas sûr. Pas davantage qu’il est raisonnable de vouloir faire de l’alexandrin, qui plus est rimé, à partir de ce poème assez quelconque tant au plan de la forme que de la force.
Valéry ne distingue pas force et forme d’action. Or, pour ce qui est du « Drunkard » de Lowry, je crains d’en avoir mal saisi la syntaxe, laquelle me semble, force autant que forme, rendre ce poème aussi éloquent qu’un plat d’œufs brouillés.