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Hermann sur la Plaine (dérive lémurienne, 3)

Jules Hermann (1845-1924)

J’imagine ce moment où Maître Hermann passe corps et âme de l’autre côté. Il herborise sur la Plaine. Nous sommes en juillet, peut-être en août. L’hiver austral. L’ombre des badamiers de Saint-Leu ne se dessine pas bien sur le sol.

Hermann perçoit des phosphènes, des taches de couleur dans la nuit sans fin de son œil crevé. Cela irradie durablement la partie frontale de son cerveau, va plus profond, plus loin encore, jusqu’à la glande pinéale. Pour d’aucuns, cette épiphyse aurait quelque chose de cyclopéen. Pour d’autres, ce serait le centre à partir duquel se fait la vision astrale, le siège ardent de courts-circuits poétiques.

L’air est limpide, l’espace est lent. Soudain, Hermann comprend que le grand récit qu’il a à raconter se déroulera sur des périodes géologiques immémoriales, antédiluviennes. Il le sait, désormais, qu’il porte en lui une vérité d’avant le monde.

Oui, mon brave !

La Fournaise est en train de péter et je veux croire que Jules Hermann jouit, là, sur la Plaine.

Dans le ciel, un papangue pieds-jaunes décrit des cercles bizarres. Pour un peu, on croirait apercevoir un ptérodactyle.

À la même époque, Van Gogh délire ses corbeaux au-dessus des blés, en Provence. Rimbaud n’est déjà plus rien pour la poésie (il est en quête d’un théodolite de voyage), Mallarmé ne sera pas long à s’étouffer avec un os de poulet, le Facteur Cheval ramasse des cailloux sur sa tournée, Nietzsche a serré le cheval dans ses bras, Marx et Engels ont, depuis quelques années déjà, diagnostiqué la merdique mouscaille dans laquelle nous nous débattrons encore longtemps.

Oui, la vieille Europe se meurt et Jules Hermann passe corps et âme de l’autre côté, franchit le seuil de l’Invisible et se met à parler aux fougères tandis que des cailloux roulent sous ses pas.

Il est revenu très tard, ce soir-là, à la villa des Anges, sur la commune du Tampon, très hébété et un peu confus. Il a eu la révélation de quelque chose de plus grand que la Vie.

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