
S’il ne fallait retenir qu’un seul livre de Louis-René des Forêts, ce serait selon moi, et sans grande originalité, Ostinato. Je disais, m’appuyant sur un fragment de Kafka, que la prose libre est autoportée, exosquelettique. C’est très vrai des paragraphes ou îlots de sens qui constituent Ostinato.
Une sorte de lyrisme est à l’œuvre dans ce livre dont le moi n’est pas absolument évincé, mais atténué, coulé dans une voix elle-même dictée par la forme adoptée par des Forêts. Je songe aujourd’hui à cet ouvrage sans l’avoir relu ni éprouver le besoin d’y retourner. Simplement, je repense à ce texte.
Son souvenir pour ainsi dire eidétique — le fantôme de sa forme — m’apparaît alors que je travaille présentement à une phrase qui pourrait, peut-être, s’apparenter à de la prose libre.
L’unité phrastique de des Forêts relève de ce que l’on appelle couramment la période. Soit cet encoquillement du propos, au risque il est vrai de la coquille vide (on aime bien faire ça, en France), qui permet cependant que tout se tienne dans un espace textuel relativement court. La phrase à laquelle je travaille en ce moment est résolument trop longue (et mal foutue et paratactique en diable, quelque part entre Christine Angot et un pâle succédané de Claude Simon) pour être conchyliogiquement recevable.
Ce qui importe, c’est la persistance d’Ostinato, dont le projet fonctionne pleinement pour moi : cette forme s’obstine en moi, alors même que je n’ai plus le texte en mémoire. L’impression suffit de cette prose libre en moi.
« Ostinato » est un terme emprunté à la musique. C’est en effet une sorte d’image musicale qui persiste après la lecture de ce livre. « Phrase », aussi, est un terme de musique. C’est ainsi que j’ai en tête nombre de phrases. Non que je les sache là encore par cœur, loin de là. Le souvenir eidétique touche ici davantage au rythme, au phrasé.
J’ai une image musicale de L’Innommable, ou de Stendhal dans ses bons moments — pour évoquer deux exemples très différents. Il s’agit d’une silhouette reconnaissable entre mille. C’est une des qualités de la prose libre que de persister ainsi en nous. Non qu’on la sache par cœur comme un poème. Simplement on y pense. Littéralement, on y pense : elle donne lieu à de la pensée.