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L’Exercice du silence, Serge Núñez Tolin (Le Cadran Ligné, 2020)

Silence is sexy

(Einstürzende Neubauten)

La parole poétique a partie liée avec le silence, c’est entendu. Qu’elle évoque l’arbre, elle pourra s’intéresser davantage au bleu du ciel qu’aux ramures qui s’y découpent. Cette manière de négatif peut faire penser à la pratique du Zazen. L’être méditatif, immobile, laisse filer les images, vise à se retrancher de tout, dans une quête de vide. Le ciel pur davantage que les branches. Le silence plutôt que les effractions de la parole. Et cela donne le constat suivant chez Serge Núñez Tolin : « J’ai appauvri ma langue et vidé la pensée. Il me reste quelques mots et deux ou trois images. / Je suis une chose immobile où il n’y a pas de silence. » L’Exercice du silence témoigne d’une quête difficile, dont cet ouvrage propose une sorte de récit délabré, lequel tâche de remonter la rivière de la parole, avec pour corrélat la malédiction du visible. « Renverser le sens du récit, se tenir complètement dans le visible. » Tant et si bien que Núñez Tolin tâche de donner à voir ce que peut être un « organe du silence ». Le regard est sans cesse sollicité, en cela qu’il obéit à une présomption muette. Pour autant, cet Exercice n’est pas un énième traité sur la vue. Davantage une rêverie sur un regard tacite, une ébauche de ruine quant au silence. « Le Néant parti, reste le château de la pureté, » écrivait Mallarmé. Et ce sont, je crois, les ruines d’un pareil château qui s’amoncellent ici.

Dire et voir, dans l’ineffable de l’ « Il y a », voici un des buts de cet Exercice, de cette pensée qui emprunte les sentiers fragiles réservés à la poésie, selon des fulgurances aphoristiques qui sont comme autant de trouées sensibles à même les choses. « Épuiser les choses jusqu’au dernier mot. » Un à un, jusqu’au dernier ― si ce dernier existe ou a lieu d’être. Il s’agit d’une tentative d’épuisement qui semble aboutir et qui par certains aspects, comme à corps défendant, achoppe sur de l’ouvert. Une dette, à mieux dire, qui toujours revient : « Ce vivant silence dont on ne cesse de s’acquitter. » Par cet ajour se faufile une pensée promise à la ruine. « Trouver des mots en ruinant la pensée. » Dilapider, à la lettre, mais selon une précarité profuse : arrachement au bruit, maigreur, puissance du décharné.  Pour le dire autrement, l’acheminement vers le silence passe par les obstinations de l’homme qui marche de Giacometti.

Le visible et son inachevable, aussi indissociables que le Voyageur et son ombre, font l’objet de L’Exercice du silence. « Inachèvement du regard toujours repris dans l’élan du vaste. » Cela ne saurait avoir de fin. Nul aboutissement, et encore moins aboutissement du nul. Bien moins, ou davantage, et c’est presque trop : « Parvenir à un mince filet de mots, à la maigreur d’avoir dit. » On pense à Beckett et Cioran discutant autour de l’idée du moindre, de lessness, « mélange de privation et d’infini ». Pour autant, un constant « filet sonore » s’entête au fond des vœux du silentiaire, et il n’est pas sûr qu’il convienne d’exercer le silence, son impouvoir aussi bien, sur ce qui ne peut être dit. Le dialogue avec l’auteur du Tractatus Logico-philosophicus était, au reste, inévitable : « Avancer vers ce qui ne peut être dit et ménager dans les mots un silence constamment à refaire. » L’indicible scintille lointain sur l’horizon, sur l’horizon seulement du silence.

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