
La fabrique du pré a cinquante ans. L’ouvrage est réédité en collection blanche, et c’est un tout autre objet qui nous est proposé. [voir sur Sitaudis] Cette réédition sans les planches en couleurs, sans les tableaux, sans les photos, etc. fera que l’on se précipite sur l’édition de 1971, parue dans « Les sentiers de la création » (collection alors dirigée par Gaëtan Picon).
La fabrique du pré n’est pas un livre que l’on lit. Il s’agit d’un ouvrage que l’on admire. C’est beau comme du Jules Verne. Regarde de tous tes yeux, regarde.
La manière dont le texte de Ponge est maintenu en suspension, entre état préparatoire et préalable mise en scène fac-similaire du pré, nous rappelle à quel point le lisible et le visible l’un l’autre se prolongent, sans solution de continuité.
Dispositif lisuel.
Inéluctable modalité du lisible. Des thèses s’écrivent à ce sujet.
Le Pré vu du ciel, sa fabrique. Feuilleter le beau livre de Ponge tel qu’il a paru chez Skira. Le parcourir avec les yeux du rêve, survoler telle plaine en Lombardie.

Bien sûr que, du livre au vivre, la carte vaut pour le territoire. (Association d’idées : Jacques Aubert (1932-2020) qui savait fort bien son Lacan, parvint, à la note 2 de la page xxxiv du volume II de la pléiade Joyce, à glisser une remarque extraordinaire, parlant d’une oraculaire biture de l’Irlandais à Rome : « De l’ivre-mort au livre-vie… ». Fallait le faire.)
Le poème du pré est à l’échelle un.
Tout une herméneutique par le haut. Rêver le territoire, le cadastre. Lacan, suite à une expérience de lecture du territoire par le hublot d’un avion : « Il n’y a de droite que d’écriture, comme d’arpentage que venu du ciel. » (Lituraterre, texte daté de 1971 — année de la Fabrique chez Skira). Derrida, dans Ulysse gramophone, parle aussi d’avion, et du Japon, comme en écho à Lituraterre.

L’écriture vue du ciel, le poète du pré comme un grand arpenteur céleste. Lire la carte, y déchiffrer quelque chose d’étrange et de neuf, de manière paréidolique, tout comme l’impayable Jules Hermann, l’Oncle Jules qui voyait des formes dans la Montagne, ce Vieux Créole naufragé par le Grand Océan.
Littoral, langage naufrage, frai et varech sur la plage de Saint-Pierre de La Réunion ou alors à Sandymount, je ne sais plus. En tout cas, La Fabrique du pré, telle qu’éditée chez Skira, agit sur moi comme un Mantra en mouvement, un kaléidoscope lâché dans une sémiose illimitée.