
Ce ne sont pas les grandes expressions, les formules grandiloquentes ou les mots rares et compliqués qui rendent les poèmes intéressants. Le ptyx de Mallarmé ne m’émeut pas. Et bien sûr que l’oaristys ne mène nulle part.
L’intérêt — l’émotion — réside dans une trouvaille au sein du roc sinon trivial, tout du moins commun. Dans le vulgaire. La parole du commun, mais retravaillée, vécue autrement. Il y a chez Dylan Thomas de ces troublantes difficultés, dont le fameux « A Grief Ago », qui ouvre un des 25 Poems (1936).
« A Grief Ago » ne figure pas dans le choix de poèmes paru chez Faber and Faber (Poems selected by Derek Mahon, 2004). Thomas ne l’a pas non plus fait figurer dans son choix de poèmes (Collected Poems, 1952). Alain Suied n’a pas jugé bon d’en publier une traduction. Mais il n’empêche. Ce poème est de ceux qui coincent, et qui me plaisent de ce fait, couchés qu’ils sont dans les replis d’un idiome qu’ils contribuent de façonner.
A grief ago. On comprend, on saisit bien ce que cela veut dire. Patrick Remaux traduit par « Depuis une peine ». Bon. Très bien. Peine ou alors chagrin ? Ca se discute. Ou alors grief ? Perché no ?
Ici, grief occupe la place d’une unité de temps : year, day, hour, long time, etc. On s’attend à ce paradigme-là, comme on dit. Or, Thomas élargit ici le paradigme de nos attentes. On peut imaginer un poème qui prendrait le contrepied de celui-ci, en commençant par A joy ago, ou par A bliss ago.
« Il y a un chagrin que » me semble une bonne traduction. Ou une piste de traduction. « Il y a de cela un chagrin » ne me convient pas.
« Il y a un chagrin que » — cela me plaît. Peut-être qu’un début d’amphibologie apparaît en français, qui ne figure pas dans l’original. Je peux vivre avec cela. La phrase est ainsi en suspens, et permet d’amorcer la suite.
A grief ago, / She who was who I hold, the fats and the flower,
etc.
Je ne suis pas au bout de mes peines. Si je veux maintenir mon « Il y a un chagrin que », il me faudra changer l’ordre syntaxique, bouleverser le poème. Travailler sans virgule après mon ouverture. Pourquoi pas ? Ai-je seulement le choix?
Mais ce n’est rien. Il y a cet autre poème de Dylan Thomas, qui commence par « Once below a time », qui exige de manière encore plus radicale que quelque chose se brise tout en restant dans une manière d’harmonie. Je ne connais aucune traduction française de ce poème. Ariodante Marianni propose, fort prudemment : « Una volta oltre in tempo » (Einaudi, collection « Et poesia »).
« Once below a time » Il était sous une fois ? Il était en dessous d’une fois ? Il était une fois d’en dessous ? Au-dessous ? Là encore, le jeu sur les attentes paradigmatiques est difficile à rendre. Il faudra imaginer un détour pour retrouver la force de l’original.