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Roussel à rebours, comme un clown en vacances

Il y a différentes manières de passer à côté de l’œuvre de Raymond Roussel, d’ignorer la forme si particulière de son génie. C’est généralement la mort de Roussel qui sert de point de départ à ses lecteurs. Terrible constat dans Comment j’ai écrit certains de mes livres : « Et je me réfugie, faute de mieux, dans l’espoir que j’aurai peut-être un peu d’épanouissement posthume à l’endroit de mes livres. » On commence à lire Roussel, quand on le lit, depuis sa mort, reprenant fatalement l’œuvre à rebours. Au risque peut-être du contresens. De fait, comment occulter le Procédé ? Ne vaudrait-il pas mieux retrouver un Roussel inspiré, une sorte d’héritier de Nerval ? Car au fond, le soleil que Roussel disait porter en lui est plus brûlant que la mécanique quand bien même géniale du Procédé. Or, tout se passe comme si le Procédé avait éclipsé le grand soleil de Roussel.

Une manière pas trop mauvaise d’entrer dans le monde de Roussel, mais c’est, une fois encore, à rebours, depuis la mort, consiste à lire le petit livre de Leonardo Sciascia, Atti relativi alla morte di Raymond Roussel, initialement publié aux éditions Esse, à Palerme en 1971. Généralement, on lit ce petit livre tel qu’il a été repris chez Sellerio, toujours à Palerme, si possible avec la très belle préface de Giovanni Macchia. Celle-ci a été traduite en français par Jean-Baptiste Para et figure dans le numéro 714 de la revue Europe, consacré à Roussel. En voici un extrait : « Roussel à Palerme, écrivain fini, est comme un clown en vacances. À court de numéros il ne lui restait plus qu’à miser, inconsciemment peut-être, sur un renversement de l’imagination. L’imagination appelait désormais à son secours la réalité. Et grâce à la drogue, cette réalité hébergeait les débris objectifs d’un imaginaire déjà éteint, mais qu’il pouvait exciter de manière mécanique, à coups de médicaments et de barbituriques susceptibles de le conduire aux confins de l’extase, dans la pure euphorie. »

L’ouvrage de Sciascia avait été traduit en français une première fois en 1972 par Giovanni Joppolo et Gérard-Julien Salvy, aux éditions de L’Herne (collection noire), mais cette édition est épuisée. Allia vient de faire paraître une nouvelle traduction de cette enquête, par Jean-Pierre Pisetta. La mort de Roussel, avec ses points de mystère, nous est donc à nouveau accessible, et le livre de Sciascia constitue une sorte de passerelle, de Roussel jusqu’à nous. Non que ces Actes explicitent l’œuvre, mais ils tâchent de mettre en lumière les derniers jours de Roussel à Palerme. Mais ce qu’on lit aussi bien, c’est le récit méticuleux d’une enquête bâclée en ce mois de juillet de l’an onze de l’ère fasciste. Cette note de Sciascia en dit long sur la mort de Roussel au Grande Albergo et des Palmes, si étrangement passée sous silence : « Le 15 juillet, les deux journaux palermitains — Il Giornale di Sicilia du matin, L’Ora du soir — ne rapportent pas la mort de Roussel. Les pages des faits divers citadins parlent de la découverte de squelettes humains place Acquasanta, de la ruade envoyée par une mule à un paysan, de la rossée que reçut un agent d’assurances rue Cavour et du ‘‘malheur d’un coiffeur en secondes noces’’. Aucune mention indiquant, comme dans la nouvelle de Pirandello, que ‘‘dans l’hôtel, Untel est mort’’ ». Compulsant les archives, Sciascia trace habilement les contours de l’énigme de la mort de Roussel, sans pour autant céder à la fascination que peut susciter cet auteur.

Aujourd’hui, à Palerme, nul ne se souvient de Raymond Roussel. Le livre de Sciascia n’est pas forcément disponible à la boutique Feltrinelli de la via Cavour. Avec un peu de chance, on en trouvera un exemplaire à la Stanza di Carta, l’élégante librairie tout en hauteur installée dans un ancien campanile, sur la via Giuseppe D’Alessi, non loin des Quattro Canti.

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