Non classé

Pierre Vinclair : circonstances de la poésie

Toute poésie est de circonstance. Et Le Confinement du monde de Pierre Vinclair le confirme. Ce recueil prend acte de la pandémie covidéenne. Il n’est pas le seul, puisque L’autre jour de Milène Tournier, paru, comme ce petit livre de Vinclair, en 2020 aux éditions Lurlure, évoque lui aussi cette crise sanitaire.

De ce moment ahurissant, Vinclair fait un objet poétique quotidien. On pouvait lire sa suite de sonnets inspirés par la situation via les réseaux sociaux, lors du premier confinement. Cela paraît lointain. On relira, ici, ces « Chansons covides ». En format papier, comme on dit désormais. Sur vergé aussi, il faut le souligner. Lurlure a résolument le sens du papier.

Ce petit livre se lit comme une sorte de document sur une époque navrante, dont, au reste, les journaux du confinement, qui sont légion, semblaient nous montrer, néant mental à l’appui, qu’il n’y a finalement que fort peu à dire. Le prolifique Pierre Vinclair prête le flanc à des critiques peu inspirées : il n’hésite pas à surfer sur la vague épidémique, sur l’événement covidéen. C’est vrai. Et alors ?

Il suffit de parcourir Le Confinement du monde pour s’apercevoir que cette poésie, bien qu’elle se présente comme une série de « simples chansons », parvient à s’extirper des circonstances qui la motivent. Parce que Pierre Vinclair est un poète, qui sait son métier de poète sur le bout des doigts. Non qu’il y compte, sur ses doigts, les syllabes, mais qu’il joue avec la forme-sonnet, avec le vers justifié (cf. Ivar Ch’Vavar) ― tant et si bien que Notes et Remerciements sont versifiés. Poésie intégrale, donc.

Tout est intégré. Y compris notre inenvisageable époque.

On ne lit pas ici un journal du confinement. Ce sont au contraire les « circonstances de la poésie », comme disait Pierre Reverdy, qui sont en jeu, dans un renversement salutaire du genre poème de circonstance.

48 pièces en tout, qui nous donnent un accès à la fabrique du poème. Quelque chose de ludique, surtout. Le résultat enthousiasmant de la joie qui consiste à tout intégrer. La force de Vinclair est de parvenir à faire entrer le monde entier dans le bento de son poème.

On pourrait y voir une sorte de formalisme excessif, oulipesque sinon pararoubaldien. Il n’en est rien. Cela respire, on ne sait trop comment. C’était déjà le cas avec les sonnets de Sans adresse (Lurlure, 2018), mais peut-être qu’ici le travail d’intégration poétique fonctionne de manière encore plus systématique. J’y vois même, souvent, de la drôlerie. Lorsque, par exemple, un élément du quotidien sert de cheville à un vers, sans quoi le poème ne tiendrait pas. La poésie n’est pas tout-à-fait une chose sérieuse, après tout. Le rire de Vinclair est aussi une ruse pour mieux retravailler la prose du monde.

Vinclair nous propose une poésie de la plupart du temps, pour reprendre, là encore une formule de Reverdy. D’ailleurs les poèmes de la troisième partie de ce recueil, « Sonnets de chiffon », se présentent comme ceux du premier Reverdy. Un vers crénelé, une constellation — les lambeaux du quotidien. Mais je regarderais plutôt du côté de William Carlos Williams, Journey to Love par exemple. Il se trouve justement que les poèmes de chiffon sont un voyage d’amour, par l’inachevé d’un enfant à naître. Alors les sonnets ne sont pas finis, tout simplement.

La parole poétique est toujours pleine d’elle-même et du monde. Et les circonstances de la poésie font ici une couronne mortuaire aux morts du corona. Ainsi, Vinclair offre un chant des morts, quinze sonnets un peu plus solennels, où l’on rit moins. La faculté intégrante du poème amalgame aussi bien l’horreur de ce qui est, algorithmes, CHU, data centers, au point de faire rimer Word (le logiciel) et la mort. « Le coronavirus rudoie l’endothélium », et l’on tousse, cough ! cough ! cough ! à l’anglaise, circonstances obligent du poème (écrit à Londres).

La poésie de Vinclair est une réponse originale et juste à nos temps de détresse, un flamboyant démenti à une époque sans remède où tout porte à croire que toute forme de parole, communication morte plutôt qu’expression vive, est rendue nulle et non avenue.

On peut lire des extraits du Confinement du monde sur le site des éditions Lurlure.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s