Non classé

C’est du maquillage, on vous rassure

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » Ce sont les termes célèbres de Guy Debord, renversant une formule de Hegel, qui constituent la neuvième thèse de La Société du Spectacle (1967). Sans doute que le spectateur de BFMTV est irrémédiablement pris dans ce moment vrai du faux. Le Vrai du Faux étant d’ailleurs le titre à valeur de symptôme d’une séquence de décryptage (sic) sur France Info, lequel programme se targue de nous fournir l’information « juste ». Qui donc en doutait ? Ce qui rassure, en ces temps combien difficiles, c’est que le consommateur de ce type de média par ailleurs anxiogène est préservé de la vue du sang. La fonction de ces canaux d’information consiste à aboyer — d’aboyer juste et juste d’aboyer que c’est juste — dans le sens convenu de l’horreur convenable. Celle-ci s’intensifie, en fonction de l’élastique notion de convenable. La banalisation de l’impensable servant un pouvoir toujours plus oppressant, au point qu’on a pu entendre dire à l’antenne un représentant de ses policiers que « bamboula c’est encore à peu près convenable ». C’était il y a quelque temps. Il y a fort à parier que la notion de convenable, ou de son « à peu près », se soit davantage dilatée encore.

Ainsi, lorsque le sang apparaît, un samedi après-midi en France où tout est convenable et sous contrôle, sur un grand media comme BFMTV, c’est immédiatement pour être transformé en maquillage. « On revient un petit instant sur ces images d’un homme maculé de sang, c’est du maquillage, on vous rassure, pour l’instant pas de blessés, » explique la présentatrice ce samedi, 12 décembre 2020, à 15 heures 32, alors qu’on voit à l’écran un manifestant au visage couvert de sang. La tournure est en soi inquiétante : « pour l’instant pas de blessés ». Comme s’il y avait un présupposé à la situation. Quelque chose qui pourrait faire penser qu’une manifestation pacifique dans une démocratie puisse donner lieu à des blessures. De fait, non, il n’y a pas de blessés, puisqu’on nous dit que non, c’est du maquillage. Ce tic audiovisuel qui consiste à dire que l’on « revient » sur ces images, n’est pas sans participer de la dénégation, de la déréalisation critique du phénomène. Ce qui se passe, pour tout dire, c’est qu’on n’en revient pas. On franchit un point de non-retour, à chaque fois.

Fort heureusement, BFM publiera assez rapidement une rectification, et accordera la parole au manifestant blessé à la tête, sans aucune trace de sang au visage. Le voici rendu convenable, face caméra. La parole de ce séditieux est ainsi libérée, mais non moins maintenue captive de l’image médiatique, barbouillée d’un maquillage plus général et plus obscène.

Ce n’est pas tant que cela nous fasse plaisir que l’Exécutif parle de violences policières. Ce n’est pas tant, à leur endroit, qu’il s’agisse à proprement parler d’impunité, mais plutôt de l’application systématique, par voie médiatique, de l’adage « faute avouée, faute à moitié pardonnée ». Ou, pour parler comme Guy Debord, c’est affaire de spectacle intégré. « Car le sens final du spectaculaire intégré, c’est qu’il s’est intégré dans la réalité même à mesure qu’il en parlait ; et qu’il la reconstruisait comme il en parlait. » (Commentaires sur la société du spectacle, 1988).

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s