Non classé

Wendelin et les autres

Wendelin et les autres - Librairie Eyrolles

Je pense souvent à Lambert Schlechter, mais sans doute ne le sait-il pas. J’ai déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de dire mon admiration pour lui. Il s’est engagé dans une vaste aventure lyrique. D’un côté les neuvains, de l’autre : la prose du Murmure du monde. Voici qu’il fait paraître Wendelin et les autres (éditions L’Herbe qui tremble, maison au catalogue fort riche déjà), un opuscule qui vient se glisser entre ces deux domaines, qui fait en quelque sorte le lien entre prose et poésie. Mais c’est aussi une petite Légende dorée que nous procure ici Lambert, où se succèdent des vies de Saints : Wendelin, Pietro d’Azaro, Carl Niggeler, Tsung Chih, Ric Chavero, Léon Khamé, Japi Rosenboom, Sachka Svetnikov, Szczepan Lesnik, Qaanoshinqaaha, Ropanapor, Reto Spingwa, Nonnato, Herménéglide Duputois, Paul-Emile Lotremont et Pogarski.

J’aime à rêver des ponts entre les neuvains de Lambert et sa prose. Au fond, Lambert travaille le même matériau, que ce soit prose ou poème. C’est une langue mâchée, ruminée. Du Murmeln qui rayonne. Un marmonnement qui buissonne au hasard de la vie et donne lieu à une sorte d’hagiographie intime et subtile.

Voici seize portraits, accompagnés de dessins effectués par Lysiane, la sœur de Lambert. Ce sont seize phrases, lesquelles avancent à la manière de celles des « proseries » d’Une mite sous la semelle du Titien (Tinbad, 2018). Seize fables aussi bien. Des fois on se croirait chez Vasari. Les citrons de Pietro d’Asaro, Masaccio a pu les contempler : « pour la nuit, il a étendu son paillasson dans un coin estrême de l’atelier, le plus loin possible de Lazare, et à côté de son oreiller, il a placé la coupelle en faïence avec les quatre citrons, dont un coupé ». Ou bien c’est dans le sillage de Li Po que nous entraîne Lambert, et bien sûr que le « demi-cube de bouillon Maggi » fait davantage qu’agrémenter le repas de Ric Chavero — cela embaume le soliloque ou le singulier conciliabule que Lambert tient avec Lambert.

Il arrive à Lambert d’avoir des mots avec un de ses personnages : « mes rudes altercations avec Pogarski n’étaient pas vraiment de rudes altercations, c’était juste des débats violents et passionnés qui pouvaient avoir l’air de rudes altercations, le vent tournait souvent, la rose des vents perdait quelques-uns de ses pétales, on n’a jamais vraiment su combien la rose des vents avait de pétales ». De pareils engueulements de soi contre soi sont nécessaires pour ajointer (dichten) le lyrisme de Lambert à Lambert.

C’est entendu : un poète est fils de ses œuvres. Les créatures ou personae qui en émanent sont les rejetons du moi, et de toutes les identités possibles et impossibles. Et Wendelin de grimper dans un tram qui pourrait être celui qu’empruntait Robert Walser, et pourquoi pas ? C’est aussi bien la ligne 28 de l’antique electrico, dans laquelle somnolent Bernardo Soares et Ricardo Reis.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s