« Dans le cercle vertigineux de l’éternel retour, l’image meurt immédiatement. » (Dino Campana)
J’ai dit beaucoup de mal du Blonde d’Andrew Dominik. Ce n’est pas tellement ce film qu’il convenait de mettre en critique que les conditions de son émergence et l’abasourdissement du spectateur d’aujourd’hui. Dernièrement, Libération faisait paraître une tribune alarmiste sur l’état actuel du cinéma français, face aux nouveaux modes de consommation de l’image (on parlait, dans ce même journal, de Blonde comme d’un film « précis » et « impressionnant », mais ne mélangeons pas tout).

Ce dossier, qui annonce de nécessaires états généraux du cinéma, vaut la peine d’être lu. On y entend notamment les voix de Jacques Audiard, Judith Lou Lévy et Maud Wyler. Sans doute s’agit-il d’un changement de paradigme, mais les interrogations sont de taille : « Maintenant, demande Audiard, quand on fait un film, on a beau le faire en pensant plutôt à la salle, ça va possiblement finir sur nos téléphones : est-ce que c’est la même chose ? » Judith Lou Lévy s’inquiète quant à elle : « Quand Roselyne Bachelot dit que Godard lui provoque un ennui profond, elle entre en solidarité avec l’esprit poujadiste du tout-venant. » Elle poursuit : « On ne peut pas laisser la décision de s’emparer de cette crise à quelques libéraux, la pensée du public n’est pas leur école idéologique. Peut-on cautionner des discours qui disent : ‘‘Le cinéma français n’est pas assez bon, il est temps que la filière laisse le marché dire ce qu’il faut faire ― c’est-à-dire de la série’’ ? » Peut-être que le cinéma produit pour les plateformes offre quelques « perspectives de travail », mais c’est au risque d’une « uniformisation des pratiques » et au détriment du cinéma d’auteur.
Ce constat résonne fortement avec le petit livre de Romain Blondeau paru au Seuil (coll. « Libelle »), début septembre, Netflix. L’aliénation en série. Blondeau remarque que « le streaming a infusé dans nos manières de penser et de fabriquer le cinéma, lui-même paniqué par sa propre mortalité ». Or, tout porte à croire que la mort du cinéma a déjà eu lieu, alors même que la charogne de Marilyn Monroe empuantit le monde via Netflix, laquelle plateforme a mené une « OPA sur les images et les imaginaires dont ont n’a pas encore pris la pleine mesure » (Blondeau, op. cit.). L’ouvrage de Blondeau, qui mériterait d’étendre sa méditation au-delà du cinéma français, offre quelques pistes de réflexion. Blondeau, en tant que producteur associé, parle depuis l’intérieur du cinéma. Sa voix, pour peu qu’on l’écoute, mais il est déjà tard, permet que l’on prenne davantage conscience des enjeux quant à la mort du cinéma, ou plutôt de l’image.
Dans cette grande tragédie de l’image, Jean-Luc Godard joue le rôle du spectre. Et Marcos Uzal, dans son éditorial au numéro d’hommage à Godard des Cahiers du cinéma, de citer l’illustre fantôme : « Le cinéma va mourir bientôt, très jeune, sans avoir donné tout ce qu’il aurait pu donner. Alors il faut aller vite au fond des choses, il y a urgence. » (Lettre à Freddy Buache, 1982). Godard disait cela il y a quarante ans. Bien sûr que le cinéma est mort, et plusieurs fois même. Mais il y a une autre mort, plus préoccupante. C’est celle de l’image, alors même qu’elle règne sans partage, sans aura ni profondeur sur des consciences qui semblent ne demander rien d’autre, que cette hégémonie justement.
Il y a décidément de la mort dans l’air. Quelques jours avant Godard, c’était le photographe William Klein qui nous quittait. On lui doit des images fameuses de Godard justement, prises à la sortie d’À bout de souffle.
