
1/ La fleur d’azalée qui un jour regarda Malcolm de Chazal et qu’il regarda en retour fut pour lui comme ce premier caillou sur lequel trébucha le Facteur Cheval.
2/ Malcolm de Chazal, poète brut ou sauvage, libre comme personne, irremplaçable comme le sont les fous les plus purs, Malcolm (on nomme les très grands poètes directement par leur prénom), Malcolm sans qui la poésie serait orpheline de visions belles et toujours naissantes, prises à la racine des choses et des sensations, au nœud des choses et des sensations, Malcolm dont l’œuvre foisonnante est quelque peu délaissée (elle fut néanmoins comme un second souffle pour le surréalisme finissant via Breton et sa Clé des champs), quelque peu oubliée, encore que des poètes de maintenant s’intéressent concrètement, dans leur pratique, à lui, Malcolm pourrait se résumer à cette formule : « Le plus court chemin / De nous-mêmes / À nous-mêmes / Est l’univers » (Sens magique) dont l’anecdote suivante, tirée de la vie même de Malcolm, opère corrélativement à cette sentence, en est une sorte d’application radicale et pratique : à l’époque de Petrusmok, nous raconte son biographe inspiré, Laurent Beaufils, Malcolm avisa un cocotier, distant d’un kilomètre et, avec son ami le sculpteur Serge Constantin, ils se mirent en tête de rejoindre cet arbre en empruntant une ligne droite : « Ils partirent tous deux comme larrons en foire. Ils sautèrent un petit ruisseau, traversèrent un champ de canne à sucre, piétinèrent un champ de légumes puis arrivèrent devant une cour privée où se trouvait une maison. Serge lui dit qu’ils avaient perdu, la maison faisant barrage. Ils ne pouvaient aller plus loin. Malcolm réfléchit deux minutes et ordonna à son ami de le suivre. Ils pénétrèrent dans la cour, ouvrirent la porte de la maison, traversèrent le hall, la pièce principale, la cuisine, une chambre, une autre chambre où le propriétaire était allongé et s’étonnant leur demanda ce qu’ils faisaient là. Pas pris au dépourvu, Malcolm lui répondit, tout en continuant son chemin : ‘‘Ne bougez pas, nous sommes l’Action sanitaire !’’. »
3/ Sa constante traversée de l’Impossible fait de Malcolm un des grands découvreurs du Mont Analogue, en cela, bien sûr, comme le rappelle Daumal, que « la porte de l’invisible doit être visible » (encore faut-il pouvoir pousser cette porte, or Malcolm sait réconcilier le visible et l’invisible dans une géniale éclipse du sens, et il n’a pas daigné refermer la porte de l’invisible derrière lui), mais aussi par sa pratique toute personnelle, sans employer de drogues, par la seule vertu du sens-magique, de ce que les membres du Grand Jeu nommaient métaphysique expérimentale — des chapitres entiers de Petrusmok le confirment.
4/ Bien que Chazal, après Jules Hermann et Robert-Edward Hart, ait su durablement mettre le feu à l’imaginaire de la Lémurie, on peine à suivre les visions contenues dans Petrusmok, lesquelles empruntent, mais d’un pas curieusement assuré, les sentiers du délire sinon de la démence.
5/ Malcolm donne à voir un monde d’avant le monde, au moyen d’une archéologie fantaisiste et rêveuse, servie par une herméneutique subjective dont la lecture des signes dans la Montagne figure la plus remarquable manifestation.
6/ Magie, divination, volupté, dialectique de carnaval, poésie, pseudo-science, paralogismes, blagues — tous les moyens sont bons pour questionner les marges, les angles morts de la pensée à mesure que l’irrationnel s’organise autour de quelques lubies suprêmes.
7/ Quelque chose d’élémentaire plutôt que de simple parle au cœur du poème de Malcolm, car cela implique l’opiniâtreté de l’enfance et les gouaches de Malcolm sont en cela les meilleures gloses de ses poèmes, bien qu’elles soient déroutantes par la trop vive candeur des motifs, la puissante naïveté de la couleur.
8/ On pourrait croire Malcolm heureux alors que sa poésie ne témoigne pas forcément du bonheur d’être là (« La Vie ? Une bousculade pour prendre un train qui ne part jamais. Ce train, c’est le bonheur. » (Pensées)), mais plutôt de la chance et finalement du devoir qu’il y a de déchiffrer le monde selon la volupté sens-plasticienne — bonheur à la tâche d’un incroyable visionnaire.