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Rêverie pro domo

André Breton serait dogmatique. Aussi prend-on souvent le parti, à une époque relativiste et presque sans pensée, où au fond tous les partis s’annulent et se valent — le voilà, le dogme — de négliger Breton, de le bouder. On le voue aux gémonies, et combien rapidement. On se guérira de ce travers, mais sans doute qu’il est trop tard, le mal est fait, certaines débilités sont il est vrai indélébiles, en lisant André Breton et sa malle d’aurores (Pierre Mainard, 2021) de Joël Cornuault, auteur ici d’un véritable casse-dogme, comme il se disait à l’époque du Grand Jeu. Voici : « la fascination inquiète et aventureuse de Breton pour les régions les plus obscures des bois et de l’âme humaine n’a d’égal que son appel aux plages de lumière, aux clairières, que l’on ne saurait elles-mêmes confondre avec des déforestations ravageuses. Elle coexiste en vérité avec des passions antagoniques toutes aussi innées, toutes aussi absolues. » Cornuault ne se contente pas de remettre Breton dans la lumière. Ferdinand Alquié, Sarane Alexandrian, Julien Gracq, Marguerite Bonnet ou encore Jean Gaulmier (qui donc lit encore Gaulmier ?) l’avaient déjà installé à sa juste place, la plus haute. En vertu d’un signe ascendant, comme le souligne Cornuault.

Non, il ne saurait être question d’éloge simple ou de critique littéraire, la bêtise n’étant pas le fort de Cornuault.

Ce plaidoyer pour Breton est aussi, et surtout, une rêverie pro domo : « Je ne sais parler qu’en fonction de ma propre affectivité,/ Ma lecture sans agilité philosophique/ Redevable à mes yeux d’autrefois,/ Mes yeux d’adolescent, à ce foyer de découverte centrale,/ Cet infracassable noyau de jeunesse, où, en dépit des années,/ Il m’apparaît que je n’ai pas voulu m’extraire,/ En admettant que je l’aurais pu,/ Et quoi que cette situation laisse supposer, sinon d’irresponsabilité, du moins de candeur et d’illusion. » Pour autant, André Breton et sa malle d’aurores ne sombre pas dans un égotisme facile : le « je » de Cornuault, non qu’il vise à nous englober vraiment — il n’est que le lieu d’où s’énonce une véhémence retenue — nous touche et presque nous consolerait d’être là : « fatalisme culturel et conditionnement politique vont main dans la main pour torpiller le rêve d’exister ; pour s’acharner contre l’esprit de recherche, l’esprit de merveille, l’esprit de jouvence et d’utopie. »

Véhémence ou energeia qui permet de rêver de l’avant (la poésie sera en avant, disait quelqu’un), de faire en sorte que les « neiges de demain » s’élèvent en congères, pourquoi pas ? Montent, en tout cas, plus haut que l’horizon.

Casser le dogme, donc, qui réduit Breton à la figure de pape du surréalisme.

On se ressourcera avec Cornuault, au besoin, dans Saint-Pol Roux, pour mieux retourner à Breton.

Se peut-il que vous n’ayez jamais rencontré
— Ce qui s’appelle rencontrer —
André Breton ?

La rencontre capitale pourrait se faire à l’endroit de Poisson soluble, œuvre cruciale qui était comme une mise en pratique du premier Manifeste du surréalisme, et initialement adjointe à lui. Poisson soluble dont Cornuault rappelle l’importance, avec cette encre bleu des mers du sud toujours, qui est aussi bien celle de Gracq.

Plus scandaleux encore que tout ce merveilleux jeté hardiment au-devant de nous, le sourire d’André Breton, sur lequel Cornuault termine son livre.

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