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L’équinoxe

Depuis quelque temps, on ne piétine plus du même pas dans les rues. On se plaignait de ce que ces manifestations répétées — le grand manège des cortèges syndicaux — n’avaient de portée que symbolique, et encore. La grogne traditionnelle du peuple de France. L’inoffensif « carré de grève sur fond de grève » (Philippe Muray). Or, il est désormais incontestable que la légitimité du peuple, sous sa forme de foule, a crevé le carré de grève, a traversé, enfin, le miroir de la simple manifestation populaire dans le cadre d’une démocratie que l’on sait fatiguée.  

Pas de héroïsme face à ce type de pouvoir. Une force, plutôt, qui se dilue et, mieux, se réfracte et se démultiplie dans le collectif. Une force qui n’est au pouvoir de rien mais en puissance de tout. Effet levier qui permet le soulèvement véritable. Les machines célibataires de la manif planplan ont été remplacées par de véritables « machines émeutières » (Laurent de Sutter). When the Mob goes Mad, disait William Burroughs. Lorsque la foule devient folle de rage, lorsque la puissance devient acte.

Il était temps.

La sidération quotidienne face à l’hyperprésidentielle cinquième république (mais quid d’une sixième ? question aussi effroyable qu’enthousiasmante) a fait place à la lucidité de chacun chacune quant au rôle à jouer dans ce qu’il convient banalement d’appeler l’histoire. Bien sûr, cela ne se fera pas d’un coup, encore que les basculements aient été nombreux ces derniers jours. Et chacun chacune selon ses moyens de contestation sinon d’émeute.

Ce n’est pas le folklore du Grand Soir, mais bien la réalité à construire d’un grand matin. C’est cela le cheminement démocratique. Semé d’embûches, difficile, qui ne mène pour l’heure encore nulle part. Tout sauf ce boulevard néolibéral, sûr de ses moyens et de ses effets, dont on sait bien, lui, où il nous conduit. Ce cheminement encore hasardeux, face aux certitudes de la parole du Président Macron (on la dit « apaisante » (sic)), il faut l’effectuer. Et, dans ce processus de marche forcée, nous avons davantage besoin d’idées neuves que d’idéologie stagnante. Car nous avançons, une bonne fois pour toutes, dans l’inconnu.

Il est, en soi, risqué de partir en manifestation spontanée. C’est un cheminement sauvage, au sens fort, comme une randonnée en forêt (sauvage, du latin silvaticus, « forêt »). Emprunter ce chemin qui ne mène nulle part (mais où va une manif ?), ce Holzweg, selon une expression rendue célèbre par Heidegger, ce n’est pas faire fausse route. C’est plutôt tailler la route, frayer la voie. D’où l’importance d’idées neuves, de pratiques collectives que l’on avait oubliées à force d’évoluer selon des balisages sécuritaires-liberticides.

Le risque exigé par cette contestation est une chance véritable pour la démocratie. C’est en soi un symptôme que dans la nuit du 20 au 21 mars 2023, au moment de l’équinoxe, on ait nassé[1] des manifestants (des citoyens, après tout) dans une des plus petites rues de Strasbourg, à savoir, la petite rue des Dentelles. À 22 heures 24, moment de l’équinoxe de Printemps, l’atmosphère était irrespirable dans cette ruelle. L’illibéralisme maintenait la pression. Des personnes firent des malaises. Il n’y avait là pas bavure, mais préméditation pure et simple, selon une logique punitive-préventive. Il fallait bander les muscles face à la gauchiasse.

Mais voilà, c’était l’équinoxe. Quelque chose de plus profond avait lieu. Quelque chose de naturel aussi bien. Une montée de sève démocratique, contre laquelle aucune stratégie du choc ne tiendra plus. L’équinoxe de Printemps est ce moment dans l’année où le jour commence de reprendre ses droits. Mars 2023 est ce moment dans l’histoire où la lucidité coïncide avec la détermination du peuple. Ou mieux, de la foule. Déterminé, c’est un beau mot. Les jeunes sont déterminés, les jeunes sont déter. Et les plus vieux également.

[Rectification après-coup, la nasse aurait été effectuée plus tôt, entre 21 heures 27 et 21 heures 39, comme le précise un article de Rue89 Strasbourg.]


[1] Mon correcteur orthographique Word ne reconnaît pas le verbe « nasser », la nasse étant par ailleurs une pratique rendue interdite par le Conseil d’État le 10 juin 2020.

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